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Voleur de tonnerre - nouvelle de Micky Neilson


- Par SeR3NiTy - 16.12.2010 18:01 Edité le : 16.12.2010 19:55

Blizzard a mis à jour son site le 20 octobre 2010 avec une nouvelle écrite par Mickey Neilson intitulée "Voleur de tonnerre" qui raconte l'histoire de Isaac White, un démineur de talent victime d'une tragédie qui se retrouvera confonté un jour à un terrible choix. Nous vous proposons ici cette histoire très intéressante en intégralité, bonne lecture !

 

Encore un jour de gloire dans le Corps des Marines.

Malgré la chaleur suffocante qui régnait sur Gamma Dorian, Isaac White gardait son sang-froid.

D'ailleurs, quelles que soient les circonstances, Isaac White gardait toujours son sang-froid. Et ce n'était pas simplement grâce à sa combinaison thermo-régulée. Non, il gardait son sang-froid, parce que dans son boulot, celui qui ne savait pas garder son sang-froid finissait facilement en petits morceaux.

Un jour, peut-être, un crétin fabriquerait une bombe capable d’ébranler l'armure blindée d'Isaac, mais ce jour-là n'était pas près d'arriver. Ces têtes de nœuds lobotomisées de Kel-Morians n'avaient même pas été foutus de dissimuler le détonateur correctement. Isaac aurait pu leur suggérer au moins quinze emplacements sous l'énorme pont qui auraient fourni une meilleure cachette. Mais non : ces débiles avaient placé le dispositif juste sous un rebord du tablier, autant dire quasiment à découvert.

Il ne fallut pas plus de trente secondes à Isaac pour descendre le remblai sud du ravin asséché et, maintenant, il était couché sur le côté et découvrait le système de détonation. « Simple » aurait été trop gentil pour qualifier sa configuration : « archaïque » était plus juste. Un dispositif électronique à retardement, réglé pour déclencher plusieurs charges disposées à intervalle régulier sous les poutrelles. Les KM avaient contrôlé ce passage et le territoire autour jusqu'à ces derniers jours. En se repliant, ils auraient pu faire sauter le pont, mais au lieu de cela, ils avaient préféré tenter de faire disparaître le pont ET quelques troupes confédérées par la même occasion. Et ils n'avaient pas envisagé que la Confédération penserait à vérifier le pont avant de l'emprunter ? Stupides. Tout simplement stupides.

C'était justement à cause de cette stupidité que la Confédération était sûre de gagner la guerre des Guildes. Les affrontements duraient maintenant depuis plus de trois ans, mais il n'y avait jamais eu aucun doute dans l'esprit d'Isaac sur l'issue du conflit et la victoire de son camp.

« Merde, mais qu'est-ce qui prend si longtemps, neuf-doigts ? »

Un des gars du convoi était descendu de son camion et s'était mis à gueuler. Dans la file de véhicules qui s'étalait sur plus de deux kilomètres, les conducteurs commençaient à s'impatienter en attendant le feu vert.

Isaac agita la main. Désamorcer la bombe ne lui prendrait qu’un instant, un souffle. Voilà ce qu’Isaac faisait. Il était né pour ça. Les agents du déminage se surnommaient les « voleurs de tonnerre ». Et il était le meilleur d'entre eux.

Un petit couic, et retour aux baraquements pour savourer un moment de détente avec Kandis. Ou Lexa. Ou Dorinda...

Isaac prit la pince coupante, la positionna sur le bon fil, et le sectionna.

Quelques secondes plus tard, il enlevait le dispositif, s'écartait du tablier et levait le pouce vers le Sergent Ruxby, qui attendait en armure de combat en haut du remblai face à la file.

La terre glissante ralentissait la remontée. Au-dessus d'Isaac, le tremblement provoqué par les camions et les autres véhicules s'amplifia. Le pont grinça quand le premier élément du convoi pesa sur la travée.

Isaac était à mi-chemin sur le remblai lorsque le dispositif qu’il avait en main émit une suite de notes électroniques. C'était quoi, ce bordel ?

Alors, de quelque part sous le pont :

BIP...

Isaac essaya d’analyser rapidement les causes éventuelles, passant en revue et éliminant les possibilités jusqu’à ce que l’une d’elles s’impose à lui. Une possibilité qui lui glaça le sang : un relais numérique. Mais alors, la bombe n'était qu'un leurre, un piège...

... et il était tombé en plein dedans !

BIP...

Le son venait du milieu du pont. Les servomécanismes de son armure accélérèrent la course d’Isaac vers le haut du remblai, alors qu’il agitait les bras et hurlait en contactant l’escouade sur sa fréquence de communication. Mais ses mouvements étaient trop rapides et ses bottes glissèrent sur la terre meuble.

BIP...

Un éclair de compréhension passa sur le visage du Sergent Ruxby. Il cria des ordres et les véhicules sur le pont marquèrent l'arrêt.

Avec la terre qui se dérobait sous ses pieds, Isaac glissait toujours plus bas sur le remblai. Il termina au creux du ravin alors que les notes aiguës se faisaient plus longues et plus rapprochées.

BIP !

BIP !

L'instinct de survie d'Isaac prit les commandes. Il s’éloigna du pont au maximum, courant le long de la rivière asséchée, les servos décuplant sa vitesse.

BIIIIIIIIIIP-

Il plongea à terre, aplatissant son corps aussi fort que possible contre le sol, en espérant que la combinaison encaisserait le plus gros de l'explosion et que le souffle ne causerait pas de traumatisme cardiaque. Il attendit, mais rien ne se produisit.

Tout à coup, la terre trembla. Une explosion assourdissante mit hors service les capteurs audio externes de la combinaison. L'onde de choc souleva un véritable mur de terre qui le percuta.

Les débris pleuvaient. Isaac se tourna sur le côté pour s’exposer le moins possible. Un bras encore dans son armure CMC atterrit à quelques centimètres de lui et rebondit au loin.

Isaac roula sur le dos, puis se releva, les yeux fixés sur le pont ravagé : une horrible vision de fumée, de métal distordu, de sang, de membres déchiquetés... sans parler des cris.

SEIZE ANS PLUS TARD

Shila était si douce contre lui. Isaac remua et tourna sa carcasse d'un côté, puis de l'autre. Shila grommela et roula dans son coin, tirant le drap avec elle.

L'air était frais contre sa poitrine. Isaac referma les yeux, mais ça ne servait à rien. Il était réveillé.

Le cuirassé Tahoe rentrait d'une mission de sécurité et d'escorte dans les profondeurs de l'espace, qui s'était déroulée sans encombre. Isaac, lui, avait eu droit à une permission et il profitait de moments agréables avec sa femme...

... mais malgré cela, il se sentait sale.

Il s'assit et ses yeux dérivèrent jusqu’au calendrier digital sur le mur opposé, décomptant le temps jusqu'à l'arrivée du vaisseau sur la planète Havre.

04:56:23

En dessous du compte à rebours qu'il avait programmé, Isaac vit la date : 02.06.2504.

Seize ans depuis la catastrophe sur Gamma Dorian.

Alors bien sûr, la Confédération avait fini par gagner la guerre, et bien sûr, Isaac avait trouvé sa place au sein du nouvel ordre du Dominion, quand la Confédération avait été balayée par l'ancien chef rebelle Arcturus Mengsk. Mais Gamma Dorian restait gravé dans sa mémoire, comme un invité indésirable dont il ne pouvait se débarrasser.

Isaac sortit sa masse de cent trente kilos du lit et marcha d'un pas lourd jusqu'à la salle de bain. Dans le miroir, des yeux marron préoccupés et teintés de tristesse le fixèrent tandis qu'il fourrait une brosse à dents sonique dans sa bouche.

Après Gamma Dorian, il avait parlé aux familles des victimes, accepté le pardon de certaines, surmonté le mépris d'autres – ou, avec le recul, peut-être avait-il accepté le mépris et surmonté le pardon – mais cela n'avait été d'aucune aide. Il avait été jugé pour négligence, mais grâce au soutien du commandant de sa compagnie, Zeke Turner, il avait été déclaré non coupable. On l’avait tout de même renvoyé vers le civil.

Une part d'Isaac, peut-être la plus intègre, avait souhaité que sa culpabilité soit reconnue.

Mais Turner avait cru en lui. Il avait dit à Isaac qu'il pourrait peut-être changer les choses et se racheter d'une manière ou d'une autre.

Franchissant lentement les étapes malgré les obstacles qu'on lui opposait, Isaac avait fini par regagner une place dans les rangs. Il avait mis à profit son expérience de technicien du déminage (ou de « neuf-doigts », comme les soldats les surnommaient, ironisant sur le fait que les démineurs avaient tous perdu au moins un doigt) pour devenir maraudeur dans le Corps des Marines, une sorte de batterie d'artillerie unipersonnelle.

Mais affleurant sous la surface, la culpabilité ne le quittait pas. Isaac l'avait affrontée, jusqu'à ce qu'il y a un an, le Commandant Turner soit assassiné au cours d'une permission sur la lune de Bacchus.

C'était là que, pour la première fois, une voix dans la tête d'Isaac lui avait dit d'arrêter de se battre et de se faire resocialiser. Il savait que le Dominion pouvait faire des trucs avec votre cerveau, modifier vos souvenirs... vous reprogrammer, en quelque sorte. En virant le mauvais, et en gardant le bon.

Mais quelque chose en lui n'était pas prêt à renoncer. Au final, il considérait la resocialisation comme une nouvelle forme de fuite, et il ne voulait pas laisser la culpabilité gagner. Pas encore.

« Reviens dormir » grogna Shila.

« J'y arrive pas. »

Avec un long soupir, Shila regarda Isaac, puis le calendrier. « Faut que tu arrives à dépasser ça, bébé. » Elle se retourna. « Il y a toujours de la haine dans ton cœur. Ça ne peut rien donner de bon. »

Personne d'autre n'était capable de lire en lui comme elle. C'est pour ça que lui et Shila étaient exclusifs depuis presque deux ans.

Elle avait raison, bien sûr. Même après tout ce temps, il était toujours coincé dans la guerre des Guildes, toujours en train d'affronter les KM. Peut-être s'était-il bien accommodé de sa culpabilité, après tout.

Les pensées d'Isaac furent interrompues par le gazouillis d'une console à proximité. La tête holographique d'un adjudant robotique avec un visage féminin clignotait. La voix calme annonça : « Premier-Sergent White : un appel du Sergent-Maître Suza. »

« Je le prends. »

La tête de l'adjudant, mi-femme mi-machine, s'estompa et fut remplacée par les traits lourds de Suza. « Sergent ! La vie est belle par chez vous ? »

Plutôt merdique, avait envie de répondre Isaac, mais il s'abstint. Suza avait toujours un putain de sourire. Évidemment : il avait été resocialisé. Il ne l’avait pas dit, bien sûr, mais certains signes ne trompaient pas.

« Un vrai rêve, Sergent-Maître » répondit Isaac, sachant pertinemment que son jeune supérieur ne percevrait pas l'ironie.

« Heureux de l'entendre ! J'ai besoin que vous vous prépariez pour un briefing de mission sur le pont d'envol à 07 00. Ordres du Commandant. »

Isaac jura à voix basse. Son congé était visiblement remis à plus tard.

Cela venait du Commandant Rindge, aucun doute là-dessus. Rindge était le successeur de Turner. Le nouveau pacha détestait Isaac de tout son cœur, ce qui ne posait pas de problème, puisqu'Isaac n'aimait pas le commandant non plus.

Rindge... rien que le nom du type tapait sur les nerfs d'Isaac.

« C'est quoi, la mission ? » demanda Isaac.

« Des pirates à éliminer ! Une exploitation minière du secteur a été attaquée par une bande du nom de Club des Joueurs… et on dirait bien qu'on est les seuls costauds dans les environs à pouvoir intervenir. »

Isaac acquiesça. « J'suis toujours partant pour donner un coup d'main à nos gars. »

L'hologramme vacilla. « Bien dit ! Sauf que ces mineurs sont pas vraiment nos gars. »

« Ah bon ? On part pour sauver qui, exactement ? »

Suza fit un grand sourire et ses yeux s'éclairèrent.

« Des Kel-Morians ! »

Chanuk était un gros astéroïde de six cent seize kilomètres de diamètre. Il y a très longtemps, il avait été capturé par l'attraction gravitationnelle d'une géante gazeuse du nom de Gantuan VI, et par la suite Chanuk s'était installé dans une orbite assez stable, régulière et prévisible. Cela faisait environ cinq ans que les Kel-Morians avaient découvert le rocher (les mineurs qui l’exploitaient le surnommaient « Chunk » (« gros caillou ») pas si affectueusement que cela) et qu’ils avaient entrepris l'extraction de minerai dans ses veines extrêmement riches.

La plupart des gisements étaient maintenant épuisés, mais Chanuk n'avait pas encore livré toutes ses ressources. Il restait quelques années de « bonne came » à en tirer. L’astéroïde était criblé de profondes excavations, de puits, de galeries en pente et de saillies, ce qui donnait à la masse de pierre des allures de pomme géante dévorée par un ver. Des déclivités reliaient les chantiers d’exploitation au sous-sol, où un réseau de galeries les raccordaient à des dômes centraux équipés de la régulation d’oxygène et de l’accélération gravitationnelle.

C'était dans un de ces passages reliant deux tunnels d'excavation dans le noyau profond numéro 2 qu'Isaac attendait maintenant, posté à une entrée qui menait également à une galerie plus large juste au-dessus. Un indicateur numérique sur l'Affichage Tête Haute à l'intérieur de sa visière lui donnait le temps de mission écoulé.

02:35:52

Le match serait bientôt plié.

Face à Isaac, des pointes hypersoniques fendaient l'air, perforant la roche dure au bout de la galerie. Elles avaient aussi la propriété de dissuader tout marine qui voudrait avancer vers la position où les pirates s'étaient retranchés.

Dissuader un marine normal, peut-être, mais pas Isaac. L'armure du maraudeur avait justement été conçue pour ça. Des idées sombres traversèrent l'esprit d'Isaac, et c'était loin d'être la première fois : pourquoi ne pas simplement laisser tomber les KM ? Qu'ils se démerdent avec les pirates et tant pis pour eux. OK, la plupart de ces crétins n’avaient probablement jamais servi pendant la guerre des Guildes à l’époque, mais quand même... Isaac était malade à l’idée d’être ici, en train de les aider... risquant sa propre putain de vie...

La voie exubérante de Suza jaillit sur la fréquence de l’escouade : « Sergent White, vous êtes prêt à filer une raclée à ces sales types ? »

Isaac fit une dernière vérification système. Opérationnel. C'était peut-être bien le jour de chance des KM. « Quand faut y aller, faut y aller. C'est parti ! »

Quatre marines s’élancèrent dans le tunnel et déclenchèrent un tir de couverture nourri. La combinaison d'Isaac chargea automatiquement deux grenades Punition alors qu'il tournait à l’angle de la galerie. La ventilation était toujours active dans le noyau de l'astéroïde, mais pas la gravité. Isaac se servit des accélérateurs de microgravité de ses bottes pour continuer sa progression, les servos faisant avancer la lourde armure modifiée.

Des projectiles ricochèrent sur son armure de combat quand Isaac dépassa les marines. Une microseconde plus tard, il avait verrouillé la cible et chacun de ses bras tirait une grenade Punition. C'en était fini de ces pauvres bâtards qui avaient osé provoquer le Corps des Marines du Dominion.

Le sol et les parois tremblèrent. De la fumée tournoyait au sol en s'échappant du passage. Isaac s'autorisa un sourire... qui se révéla un peu prématuré.

Une monstruosité rouge émergea du brouillard, une bête en armure du même gabarit qu'Isaac. Avec écrit JOE sur une épaulière, et LA FLAMME sur l'autre. Les bras du flammeur se levèrent à hauteur de poitrine, et une voix rauque sortie des haut-parleurs externes de la combinaison.

« Voulez-vous du feu ? »

Dans la demi-seconde qui suivit, l'armure d'Isaac rôtissait sous la chaleur des lance-flammes Perdition de l'adversaire.

Les bras d'Isaac se verrouillèrent dans un geste de protection. Son ATH vira au rouge. Encore quelques secondes et la température serait assez élevée pour faire sauter les explosifs stockés dans les compartiments des avant-bras du maraudeur. Il fallait contre-attaquer. Et vite.

Un gros rocher à proximité offrait la seule couverture possible, mais plus que ça, il pouvait peut-être servir de bouclier.

Les alertes-système d'urgence étaient sur le point d’atteindre le niveau critique quand Isaac souleva le rocher et se rua en avant, calant la gigantesque pierre entre ses bras massifs et la poussant devant lui comme un bélier. En six enjambées, le rocher avait traversé les bras du flammeur et avait fracassé le plastron cramoisi.

« Joe » trébucha en arrière dans les débris de la barricade. En un instant, il saisit la pierre par le haut et par le bas et pivota, faisant tournoyer Isaac autour de lui. C'était maintenant Isaac qui freinait avec les pieds, s’apercevant qu'ils se dirigeaient vers un puits à peine obturé.

Il y eut le bruit du bois qui craquait quand ils traversèrent la barrière, puis une sensation tranquille d'apesanteur alors que le gouffre béant les avalait. Ils avaient jeté le rocher de côté et continuaient à se battre dans leur chute à très faible gravité. Le flammeur réussit à cracher du feu une fois de plus, et Isaac sut qu'au moins une des grenades de son bras gauche n'était pas loin d'exploser. Il devait la lancer maintenant.

Il repoussa « Joe » et dégoupilla la grenade. Il y eut un grand éclair lumineux, puis l'obscurité.

Isaac se réveilla. Les données de son ATH l'informèrent que ses constantes vitales étaient toutes dans la normale, mais que certains systèmes de sa combinaison avaient été endommagés, un ou deux étant même complètement hors service.

La voix de Suza brailla dans le communicateur : « Tenez bon, Sergent, on s'occupe d'activer le monte-charge. »

Autour d'Isaac, une sorte d’araignée de métal géante retournée gisait au sol. C'était donc ça, le monte-charge, ou du moins ce qu'il en restait après l'explosion qu’il avait provoquée.

Des grincements prolongés se firent entendre, un vacillement s’ensuivit, puis le treuil et le câble se mirent à gémir… et finalement, un mouvement vers le haut s’amorça. Moins d'une minute plus tard, Isaac était sur le rebord du puits face à la visière de l'armure CMC de Suza.

« Heureux de vous retrouver, Sergent ! »

Suza l'aida à revenir dans le tunnel désormais vide. Isaac regarda son ATH et se rendit compte qu'il avait perdu conscience pendant près de quarante minutes. « Où sont les autres ? »

« Rappelés il y a une demi-heure. Le Commandant Rindge m'a demandé de rester et de vous sortir de là. Les techniciens surveillaient vos fonctions vitales depuis le Tahoe. Le Commandant n'avait pas l'air trop inquiet. »

« Tu m'étonnes » maugréa Isaac.

Ils se frayèrent un chemin jusqu'au niveau souterrain supérieur, passèrent les portails d'accès des énormes foreuses laser, puis traversèrent un dédale de galeries et arrivèrent enfin à l’un des nombreux dômes centraux. Suza n'avait pas arrêté de jacasser tout au long du trajet, donnant un compte-rendu détaillé de l'élimination des derniers pirates et des pertes importantes subies par les KM, notamment toute leur équipe médicale.

Une fois dans le dôme, Isaac releva sa visière. Les deux hommes étaient entrés dans ce qui était auparavant une cafétéria, mais qui servait maintenant de centre de régulation pour les mineurs blessés ou mourants. Isaac ralentit en passant près d'une table sur laquelle était allongé un Kel-Morian. Deux autres mineurs s'évertuaient à remettre ses viscères dans son torse mutilé.

Isaac ne voulait pas regarder. Que pouvait bien lui faire la vie ou la mort de l’un de ces chancres mous de KM ?

Il s'arrêta tout de même.

L'homme avait agrippé la manche du mineur le plus proche. « Tu transmettras un message… à ma femme et à mon gamin sur Moria. Dis-leur… que j'les aime… et que j'suis désolé... »

Isaac se détourna pour partir, se ravisa, jeta un dernier regard vers le blessé, puis reprit sa marche. La même scène se répétait partout dans la pièce caverneuse. Le sang était omniprésent, saturant l'air de son odeur âcre et contrastant sur les carreaux verts du sol.

Les yeux d'Isaac furent attirés par un écran mural tout proche, qui affichait une série de chiffres.

01:09:30

Il regarda un autre écran sur le mur opposé et vit le dernier chiffre changer.

01:09:29

Un compte à rebours. Et d’après l'expérience d'Isaac, ce n'était jamais une bonne chose.

« Qu'est-ce qui se passe avec le chrono ? » demanda Isaac à Suza qui avait également relevé sa visière.

« Ça a commencé il y a environ quinze minutes… Un paquet de KM se sont regroupés dans le centre opérationnel pour chercher ce que ça pouvait bien être. Le Commandant nous a dit de rester en dehors de ça. On doit retourner à la surface pour extraction dans cinq minutes. »

Isaac s'arrêta, scrutant le compte à rebours sur les écrans. Il voulait en savoir plus. Il n’aurait pas su dire exactement pourquoi, mais il fallait qu'il en sache plus. « Allez-y. Je vous rejoindrai. »

« Bien reçu, Sergent ! » Suza partit d'un pas décidé vers la sortie tandis qu'Isaac rebroussait chemin. Près de l'entrée de la cafétéria, il se retourna pour voir la table où le Kel-Morian avait supplié qu'on transmette un message à sa famille. Les deux mineurs qui s’étaient occupés de lui remontaient maintenant une veste sur le visage de l'homme. Un de ses bras pendait, inerte, sur le côté de la table.

Les mots revinrent à la pensée d’Isaac.

Dis-leur... que j'les aime... et que j'suis désolé...

Il grommela et reprit sa marche.

Le centre opérationnel bourdonnait lui aussi d'activité. Aucun des KM ne sembla remarquer Isaac quand il entra, tout absorbés qu’ils étaient par leurs conversations passionnées.

Un mineur basané aux joues écarlates et aux cheveux longs criait plus fort que les autres. « Réfléchissez ! Toutes ces charges sont portées manquantes depuis un mois, c'est ça ? »

Un type maigre en bleu de travail rétorqua : « Park a dit que c'était un oubli. »

« Ah ouais, et il est où, Park, maint'nant ? »

Personne ne répondit. « Park était impliqué là-d'dans ! » lâcha l'homme aux joues écarlates.

« Merde ! On croit que... et puis c'est toujours les plus discrets. »

« Park, Shoberg, et ce putain de Gonzalez ! Ça fait combien de temps que Gonzalez a condamné le noyau profond numéro 6 ? Deux semaines ? Cherchez pas : c'est là qu'elles sont, les charges ! Et maint'nant, elles sont réglées pour nous réduire en miettes et nous éparpiller jusqu'à Moria ! »

Le silence se fit pendant quelques instants.

« L’homme aux joues écarlates » (comme Isaac avait commencé à l'appeler) passa la main dans ses cheveux épais. « Tous nos gars d'la démolition sont morts. Même si on pouvait aller jusqu'au noyau profond numéro 6… ce rocher est foutu. On f'rait mieux d'se barrer. »

Tout à coup le maigrichon se tourna vers Isaac, les yeux écarquillés. Il le scruta des pieds à la tête. « Vous ! Vous allez nous aider à décamper… On a besoin de transports ! Ces salopards du Club des Joueurs ont saboté tous nos cargos, nos navettes, tout. »

Quelques instants plus tard, Isaac avait été conduit dans une réserve, un peu à l’écart du chahut ambiant. Il contacta Suza sur la fréquence de l’escouade et demanda à parler à Rindge. Par la porte, Isaac pouvait voir un des écrans sur le mur du centre opérationnel.

01:04:16

Un grésillement se fit entendre, et la voix haut perchée de Rindge aboya : « Vous êtes seul, White ? »

« Oui, monsieur. On a un problème... Les KM font dans leur froc ; ils disent que les pirates avaient des complices parmi eux… ils pensent qu'il y a un paquet d'explosifs dans le noyau de ce gros merdier, assez pour tout faire péter et envoyer des petits confettis de viande partout dans l'espace. »

« Je suis au courant de ces conneries, White. »

« Très bien. Je prépare l’évacuation des blessés et – »

« Écoutez, vous leur racontez ce que vous voulez... mais vous leur dites de rester tranquilles, et puis vous bougez votre cul jusqu'au point d'extraction. »

« Et quand est-ce que les autres transports seront – ? »

« Mais quels transports à la con ? Je suis vraiment obligé de vous expliquer tout ça, à vous ? C'est des Kel-Morians, bordel ! La seule raison pour laquelle on est venu mettre notre grain de sable dans cette tempête de merde, c'était pour liquider le Club des Joueurs ! Parce qu’il faisait chier le Dominion depuis quatre foutues années ! Mission accomplie. Alors vous vous magnez vers ce putain de point d'extraction ! »

Tout à coup, alors qu'il ne s'y attendait pas du tout, Isaac eut l'impression qu'un barrage cédait dans sa tête et un flot de pensées l'envahit : il se dit que toutes ces interminables années de réflexions, d'excuses, de quête intérieure, de recherche de paix depuis l'incident sur Gamma Dorian n'avaient pas pu apaiser sa conscience. Il pensa au mineur kel-morian qui était mort avec ses entrailles replacées à la hâte dans son corps, alors qu'il ne se souciait que de sa famille qu'il allait laisser seule. Il pensa, même s’il avait du mal à l'admettre, que peut-être tous les Kel-Morians n'étaient pas des animaux.

Une tornade se déchaînait dans son cerveau, mais une évidence lui était tombée dessus comme un météore : il avait cherché le pardon des familles des victimes, mais lui-même n'avait jamais pardonné aux KM. Au fond, c'était tellement plus simple de continuer à les haïr… de ne même plus les considérer comme des humains.

Elle était peut-être là, l'occasion de changer les choses, d'équilibrer la balance, de se racheter, comme Zeke Turner avait dit.

Tout ce qu'il avait à faire, c'était survivre... et puis sauver tous les autres.

01:00:23

Si quelqu'un pouvait trouver et désarmer des explosifs, c'était bien Isaac. Son destin de voleur de tonnerre l’avait rattrapé.

« Je ne rentre pas » articula Isaac dans son micro.

« Répétez ça ? » demanda Rindge. Il semblait désorienté, et il y avait de quoi.

« Je ne rentre pas. Si vous partez, ce s'ra sans moi. »

« Arrêtez de me faire perdre mon temps et rappliquez. C'est un ordre, Sergent ! »

Isaac eut un petit sourire. Mais quel putain de vrai sourire ! « J'ai peur de devoir respectueusement désobéir à cet ordre, monsieur. »

« Je vous comprends pas, White ? Vous êtes quoi ? Stupide ? Suicidaire ? »

« Je suis... compliqué. »

Pendant un long moment, la radio resta muette. Isaac espérait que le Commandant Rindge ferait le bon choix, qu'il accepterait d'évacuer tout le monde, mais il fallait être réaliste : il se doutait de ce qui allait se passer. Il pensa à Shila et sut qu'il n'y aurait pas de souci, qu'elle ne se laisserait pas influencer par les conneries que répandrait Rindge sur son compte… qu'elle comprendrait. Après tout, personne ne le comprenait mieux que cette femme.

« Mon rapport officiel spécifiera que vous êtes un lâche et un déserteur. Vous allez mourir pour rien. »

« Vous pouvez raconter c’que vous voulez dans votre rapport, rétorqua Isaac. Vous et moi connaîtrons toujours la vérité. Et tant qu’on y est : j'ai toujours pensé que vous étiez un salaud. »

Il y eut un grésillement juste après, et la voix joyeuse de Suza fit irruption. « Ici le Sergent-Maître Suza, monsieur. Je suis au point d'extraction, j'attends l'arrivée du Premier-Sergent White. »

« Que White aille se faire foutre ! » s’emporta Rindge. Clic, le Commandant coupa la communication.

Il avait fallu de longues minutes à Isaac pour A) bien faire comprendre aux Kel-Morians que le Commandant Rindge et le Dominion les avaient vraiment laissé tomber malgré l'explosion imminente, B) les convaincre qu'il avait lui-même été abandonné, C) les persuader davantage que, oui, il avait vraiment l'intention de sauver les fesses de tout le monde, et finalement, D) proposer quelque chose ressemblant à un plan pour expliquer comment il allait s’y prendre.

La réponse à la dernière question s’appelait le VNFAF. S'il y avait une chose pour laquelle les Kel-Morians étaient réputés, c’était leur capacité à assembler des pièces d’objets et de machines a priori incompatibles et de bricoler quelque chose de fonctionnel, sinon fiable à 100 %. Le VNFAF ne faisait pas exception. C'était l'acronyme de Vagabond de Navigation/Fragmentation à Accélération Frontale.

Il ne restait plus beaucoup de ces engins en état de marche sur Chunk, et en fait, cette bécane-là était en réparation pour un joint de cabine foutu. Le siège et plusieurs autres éléments superflus avaient rapidement été virés pour permettre à Isaac d'y rentrer avec sa volumineuse combinaison. Il n’en avait pas besoin pour être approvisionné en air dans le noyau pressurisé, mais pour bénéficier de la gravité.

Le vacarme des différents moteurs aurait été assourdissant si Isaac n'avait pas baissé le volume de ses micros externes. Le véhicule était commandé à distance et six forets laser désintégraient la roche dure devant lui. D'énormes admissions latérales aspiraient les débris et les rejetaient vers l'arrière. Normalement, les déchets étaient envoyés dans un imposant container sur rail qui les ramenait pour enlèvement. Mais dans le cas présent, il n'y avait pas le temps pour ça et les débris s'empilaient simplement derrière le VNFAF qui s'enfonçait en perçant la roche comme une espèce de vers de terre métallique géant.

Isaac avait synchronisé le chrono de son ATH avec le compte à rebours. Il y jeta un regard.

00:37:22

Il forait depuis 13 minutes.

Le noyau profond numéro 6, le niveau d'excavation le plus enterré, avait été scellé encore plus hermétiquement qu'un sas umojan. Philbin Gonzalez, l'ingénieur en chef, avait ordonné que tous les points d'accès soient comblés. En général, c'était une procédure standard, destinée à renforcer l'intégrité du noyau. Mais dans ce cas particulier, c'était un moyen pour mettre en sécurité suffisamment d'explosifs pour atteindre la moitié d'un Néo Gettysburg.

Tout à l'heure, pendant qu’on préparait le VNFAF, Isaac en avait appris un peu plus sur Philbin et ses copains. Ils étaient toute une bande, un groupe de travailleurs très uni qui en avait eu assez d’être payés une misère pour des horaires aussi lourds. Cela faisait des années qu’ils se plaignaient et leur grand manitou, l'homme à la tête de ce qui était maintenant le Club des Joueurs, s'appelait Trevor Joe Jacobs.

On le surnommait « TJ » ou « Joe la flamme ». Il avait travaillé avec l'équipe de la mine lors de sa dernière affectation il y a six ans, une mission plutôt peinarde sur une planète tempérée du nom de Boone. Jacobs avait occupé plusieurs postes, y compris dans la démolition et même pendant un temps, dans l'extermination. Boone grouillait d'insectes gros comme des chiens, les charançons des mines. TJ avait passé des mois à crapahuter tout seul dans les puits les plus profonds, expérimentant toutes sortes de poisons. Mais comme aucun n'avait marché, il avait finalement revêtu une tenue de flammeur pour réduire toute cette vermine en cendres.

Malheureusement, à ce moment-là, « Joe la flamme » avait déjà contracté un cancer dû aux mélanges toxiques qu’il avait concoctés. TJ fut renvoyé, et d'après ce que disaient les KM, il avait dû batailler ferme pour obtenir la moindre aide médicale de la guilde minière, qui lui opposait qu’il ne devait son état qu’à lui-même.

Après ces événements, il fallut peu de temps à Jacob pour s’associer avec un groupe de voyous et former le Club des Joueurs, une bande de pirates prêts à tout et n'importe quoi.

Gonzalez, Shoberg et d'autres anciens amis de TJ avaient tous affirmé avoir définitivement coupé les ponts avec lui quand leur équipe avait été déplacée sur Chunk. Mais visiblement, ce n'était pas vrai.

Les autres mineurs avaient réuni les dernières pièces du puzzle, tout comme Isaac l’avait fait pendant qu'ils lui racontaient l'histoire : Gonzalez et Jacobs avaient préparé l'attaque ensemble, et les explosifs était un dernier bras d’honneur du Club des Joueurs, et plus spécialement de « Joe la flamme », à la guilde. Il avait combattu son cancer avec obstination pendant des années, mais les rumeurs racontaient que ce sursis arrivait à son terme, et qu'il le savait.

Quand « l’homme aux joues écarlates » (qui répondait au nom de Sammy, comme Isaac l'apprit) fut arrivé à ce point de l'histoire, le moment était enfin venu pour Isaac de monter à bord du VNFAF. Les ingénieurs KM avaient défini un parcours qui emmènerait Isaac à un passage condamné. Ils avaient estimé qu'il faudrait environ 30 à 35 minutes pour le transpercer et rejoindre la voie de transport principale du noyau profond numéro 6, ce qui laissait à Isaac 15 à 20 minutes pour trouver et désamorcer les explosifs. Le truc, bien sûr, c'est que personne ne savait exactement où Gonzalez avait planqué le matos.

00:26:16

Jusqu'ici, tout va bien.

Il y eut un claquement retentissant, suivi par la coupure des six lasers et l'extinction progressive des moteurs, et puis l'obscurité. Le VNFAF s'était complètement arrêté.

« Sammy, c'est quoi l'problème ? »

Isaac attendit. Aucune réponse.

Dans ce genre de situation, n’importe qui aurait commencé à faire du plastobéton dans son caleçon et pleuré en appelant sa mère.

Du sang-froid, Isaac. Du sang-froid. Solide comme un roc, bébé.

Sammy reprit contact quelques secondes plus tard. « Ben… l'alim de secours a disjoncté. Tout le système est éteint. On va devoir rerouter. »

Dans les minutes qui suivirent, Isaac fut informé des évolutions sur un ton frénétique et désespéré, mais la situation ne s'améliorait pas de leur côté. La dernière transmission fut interrompue alors qu'ils devaient déjà crier pour pouvoir s'entendre.

Isaac se concentra sur sa respiration. Lente et régulière. Il regarda le chrono.

00:23:56

Plus de temps à perdre. Isaac avait besoin de libérer sa main droite. Il déverrouilla le lance-grenades et le dispositif de chargement automatique, les enleva et les rangea à ses pieds. Il appuya enfin sur le bouton de mise en marche du VNFAF et les moteurs redémarrèrent.

« Je passe en manuel. »

Un instant plus tard, Sammy lui répondit, la voix fatiguée et troublée. « Bon, euh, bien, mais si tu dévies, on pourra pas vérifier et – »

« Pas l'choix. »

Isaac parcourut le court mode d'emploi qu'on lui avait fourni. Les commandes du VNFAF n'étaient pas trop compliquées, mais il lui fallait des précisions de la part Sammy : celui-ci lui avait débité les instructions à une telle vitesse qu’Isaac n'avait pas réussi à suivre. Ensuite, il pourrait réactiver les lasers et relancer l'accélérateur.

Il effectua les différentes manipulations et le VNFAF se remit à progresser, lourdement mais régulièrement.

Le plus difficile maintenant serait de rester dans l’axe. Les bandes crantées qui assuraient l'accélération frontale pouvaient se désynchroniser, et si elles n'étaient plus alignées, la trajectoire serait altérée. Habituellement, l'ordinateur corrigeait ça, mais sans système d'alimentation...

Isaac se concentra sur les points positifs. Il arriverait à s'en tirer. Ses yeux interrogeaient en permanence le chrono jusqu'à ce qu'il s'oblige à détourner le regard.

Les secondes s'égrainaient. Chaque instant passé semblait comme déconnecté du temps, perdu pour toujours. Sammy avait choisi de combler le silence en parlant de ce que serait sa vie quand il rentrerait, avec ses six gosses.

Tu leur diras que j'les aime...

Isaac consulta le chrono.

00:12:13
 

Quoi ? Tout ce temps ? Il aurait déjà dû traverser. Quelque chose ne tournait pas rond. Les roulements devaient être désynchronisés. Il lui restait quelle distance à creuser ?

Apparemment, Sammy pensait à la même chose. « Tu devrais déjà y être, mon gars. On est dans la merde. On est carrément dans la merde... »

Isaac garda une voix calme. « Reste calme. C'est pas encore fini. »

Le temps sembla s'accélérer. L'appréhension devint de la peur, et la peur n’était pas loin de se transformer en panique totale.

Tiens bon.

00:08:04

Allez... allez...

Il y eut une embardée, puis un sifflement suivi d'un PSCHOUTTT quand le VNFAF traversa enfin la paroi.

« J'y suis ! » lança Isaac. Il entendit des acclamations à l'autre bout de la ligne. Isaac coupa les lasers et s'arracha de la plate-forme. Il était prêt à y aller… mais il lui restait un problème épineux à résoudre.

Quelle direction ?

« Prends à droite » conseilla Sammy. « Tu vas voir des cavités qui servent de refuge à intervalle régulier le long du boyau… Il a peut-être caché les charges dedans… mais j'crois plutôt qu'il les a planquées dans une des chambres… là où on nettoyait le minerai. »

Isaac courut aussi vite que les accélérateurs de microgravité de ses bottes le permettaient, se convainquant qu'il pouvait encore y arriver...

00:07:49

L'obscurité reculait devant la lampe de sa combinaison. Il fonçait droit devant, s'arrêtait rapidement à chaque cavité et l'éclairait pour regarder à l’intérieur.

Le temps continuait de s'écouler.

Enfin, Isaac atteignit les « chambres ». Il y avait plusieurs espaces ouverts sur le côté gauche. Il jeta un rapide coup d'œil à chacun d'eux, vaguement conscient qu'il arrivait au bout de la galerie.

Il résista à l’envie féroce de regarder le chrono.

Isaac atteignit la fin de la galerie. La dernière chambre. Il dirigea sa lampe vers l'intérieur, et...

... rien.

Juste un grand espace vide. C’était comme si son cœur cessait de battre. Il allait devoir retourner au point de départ...

00:05:44

Il n'aurait jamais assez de temps.

Sammy intervint. « Parle-moi... On est plutôt tendus par ici. »

« Et ben accroche-toi, Sammy ! »

Alors qu’il faisait demi-tour, Isaac la vit : une chambre sur sa gauche... un espace qu’il avait dépassé sans le remarquer, invisible depuis l'autre côté de la galerie.

Il se précipita dans cette dernière chambre et là, à l'intérieur : des rangées de charges au deutérium, hautement instable.

Au-dessus de chaque charge s’élevait une petite antenne noire avec une lumière rouge clignotant au bout. Mais ce qu'il ne voyait pas, c'était le transmetteur. D'où pouvait bien être déclenché le compte à rebours ?

Du moment qu’il déconnectait les fils des détonateurs, ça n'aurait aucune d'importance. Manque de bol, il y avait au moins trente de ces saloperies à désamorcer.

Quand faut y aller, faut y aller.

« J'ai trouvé la planque. Je vais faire c’que j’ai à faire... mais j'ai besoin de calme. »

Isaac entendit Sammy déglutir péniblement. « C'est OK, chef. » Et la ligne s'éteignit.

Isaac se mit au travail, se félicitant d'avoir déjà enlevé le chargeur automatique pour libérer sa main droite. Il n'avait pas le temps de retirer le dispositif gauche, il allait donc devoir réaliser toute l'opération d'une seule main. Délicatement, prudemment, il commença à déconnecter les fils des détonateurs, conscient de jouer le tout pour le tout : même s'il les désactivait tous, sauf un, l'explosion de ce dernier suffirait pour déclencher celle de tous les autres, et c'en serait fini. Distribution géante de confettis dans l'espace..

Il nota combien de temps cela lui prenait pour en désamorcer un : dix secondes, environ.

Ça allait être juste, mais c'était jouable. Alors il allait jouer… et gagner ! Ça demandait des nerfs en acier trempé et une main aussi sûre que celle d'un chirurgien, mais Isaac ne faiblissait pas.

00:02:41

La moitié.

Solide. Régulier.

Un par un. Pas besoin de précipiter les choses...

Les trois quarts. Il en verrait bientôt le bout.

00:01:18

Plus que cinq charges. Pas de souci. L'histoire de quelques instants. Ça faisait longtemps qu'Isaac n'avait pas ressenti cet écoulement particulier du temps, où toute une vie semble suspendue entre quelques microsecondes.

Il pensa à Shila. Il pensa au KM mort sur la table. Il pensa à Sammy et ses six gosses.

00:00:38

La prochaine charge était la dernière. On y était. Isaac tendit le bras...

... et encaissa un terrible choc sur son flanc droit. C'était comme s'il avait été percuté par un train à sustentation lancé à pleine vitesse.

Isaac s'écrasa contre la paroi. Il tenta de retrouver son orientation, se débattant en apesanteur pour réaligner ses bottes avec le sol et cherchant désespérément ce qui l'avait frappé...

Trevor « Joe la flamme » Jacobs se tenait devant lui, dans sa superbe armure cramoisie entachée de noir.

La même voix rauque sortit des haut-parleurs externes du flammeur. « Ça va brûler ! »

TJ se retourna pour mettre le feu aux explosifs, mais Isaac se jeta sur lui et le fit basculer au moment précis où deux jets de flamme sortaient de ses bras. Les deux hommes finirent au corps à corps sur la voie de transport.

00:00:28

Isaac parvint à glisser la main jusqu'à l'un des gros tuyaux d'arrivée d'air qui dépassait du plastron de TJ et l'empoigna. Il le tordit et tira, mais sans aucun effet.

Le bras droit de « Joe la flamme » s'abattit en arc de cercle sur le casque d'Isaac. La violence du choc mit le maraudeur à genoux et l'obligea à lâcher prise.

Isaac se remit debout et lança un coup de pied dans le couple du tuyau, l'endommageant, mais pas assez.

Les deux monstres de métal continuaient leur lutte. TJ glissa vers l’arrière alors qu'Isaac le faisait tourner de toutes ses forces, perdant lui-même l’équilibre. Jacobs essaya de revenir vers l'entrée de la chambre. Isaac lança ses mains vers lui et empoigna un de ses réservoirs dorsaux de liquide inflammable.

00:00:15

Jacobs pivota sur lui-même et envoya un coup de genou à Isaac, qui le para.

TJ tendit son bras droit et des flammes déferlèrent sur l'armure du maraudeur. Isaac se replia sur lui-même, puis se retourna, exposant au feu tantôt le haut puis le dos de sa combinaison, et protégeant ainsi sa main alors qu'elle cherchait une nouvelle fois le tuyau d'arrivée d'air.

La couche de néoacier de la combinaison d'Isaac se couvrit de cloques. Son ATH brillait d'un rouge plus que vif.

C'était pas possible que ça se termine comme ça. Pas question ! Isaac avait enfin trouvé le chemin de la rédemption et il allait tout de même pas passer l’arme à gauche à cause d'un plouc exterminateur de charançons.

Les systèmes atteignirent un niveau critique.

Il n'allait pas abandonner. Pas maintenant. Pas maintenant que tout allait se conclure dans ces dernières secondes...

DIX.

Avec toutes les forces qu'il lui restait, Isaac tira d'un coup sec sur le tuyau, qui céda enfin. Isaac asséna un coup de pied. Jacobs glissa le long de la voie de transport, ses jambes pédalant pour essayer de remettre ses bottes sur le sol, mais l'air pressurisé qui s'échappait de son armure le propulsait en arrière, et les dernières flammèches à ses bras s'éteignirent.

CINQ.

Isaac revint en courant dans la chambre. Pas le temps de déconnecter le fil du détonateur. Il empoigna la charge...

QUATRE.

... et courut vers l'entrée. C'est là que tout allait finir, d'une manière ou d'une autre. Il atteignit la voie de transport. Pas de Jacobs en vue. Isaac jeta la charge aussi loin qu'il le pouvait.

TROIS.

Un vrai coup de poker, il le savait. L'explosion de cette charge pourrait bien déclencher le feu d'artifice...

DEUX.

Mais c'était le seul coup à jouer. Tout ou rien. L'occasion de redevenir voleur de tonnerre...

UN.

Zéro.

Maintenant.

Isaac se jeta en arrière dans la chambre quand – BOUM !!! – le monde autour de lui menaça de s'effondrer. Un immense mur de flammes tournoyantes déboula, se frayant un chemin vers l’extérieur... Si les charges devaient sauter, ce serait maintenant...

Une vision d’horreur passa devant les yeux d’Isaac : il imagina la galerie autour de lui se désintégrant et sa carcasse sans vie dérivant dans le vide sidéral.

Les flammes se dissipèrent. Quelques secondes plus tard, le grondement se tut et voilà, par bonheur, c'était terminé.

Il y eut un grésillement d'électricité statique suivi de cris de joie et de braillements sans retenue à l'autre bout de la ligne. La voix de Sammy fit presque exploser le haut-parleur. « On est vivants ! HA HAAA !!! On est vivants ! Tu y es arrivé, espèce d’enfoiré ! Tu y es arrivé. Tu nous a tous sauvés !!! »

Isaac recula jusqu'à la paroi et s'assit. Ouais, il y était arrivé. Il les avait sauvés. Il avait gardé son sang-froid. Il avait retrouvé ce pour quoi il était fait, il avait retrouvé l’Isaac d’avant. Il ne se sentait plus écrasé par le poids du monde. La haine avait quitté son cœur. Ils étaient tous sauvés

Il pencha la tête en arrière dans son casque, ferma les yeux, savoura l'instant et attendit. Ça prendrait un moment aux KM pour le tirer de là, mais c'était pas un problème...

Il avait tout le temps devant lui.

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