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Dommages collatéraux - nouvelle de Matt Burns


- Par SeR3NiTy - 22.05.2010 01:12 Edité le : 22.05.2010 01:23

Blizzard a mis à jour le site officiel de Starcraft 2 le 21 mai 2010 avec une nouvelle écrite par Matt Burns intitulée "Dommages collatéraux" qui raconte l'infiltration de Pandora, une espionne, qui tente de découvrir quelle arme secrète est cachée dans une usine ultra-protégée. Nous vous proposons ici cette histoire très intéressante en intégralité, bonne lecture !

Dommages collatéraux - nouvelle StarCraft 2 par Matt Burns

 

Une foule se presse devant le refuge, sur Anselm ; les gens changent de place et se poussent du coude, tendant le cou pour avoir une chance de voir du sang. Pandora se fraye un chemin entre les badauds et franchit la porte défoncée de la maison, détruite par une grenade à surpression il y a moins d’une demi-heure. Des morceaux de chair sont collés sur le mur, au-dessus d’un cadavre méconnaissable. L’ex-ingénieur en armement du Dominion. Le déserteur. L’homme qu’elle avait promis de protéger. Son épouse et sa fille se blottissent l’une contre l’autre, non loin de là, ensanglantées et tremblantes. Toutes deux sont en vie. Ce n’est pas un hasard. Les bras de la fillette ont disparu en dessous des coudes, les moignons soigneusement bandés par l’homme même qui l’a mutilée. Le visage de l’épouse a été tailladé et défiguré pour laisser des cicatrices que seule la nanochirurgie la plus coûteuse pourra soigner.
 

C’est un message écrit en lettres de sang pour la population d’Anselm : voilà le prix que ceux qui désertent le Dominion doivent payer. Pour Pandora, c’est une insulte cuisante que lui infligent ses adversaires : nous avons réussi ; tu as échoué.

Alors qu’elle avait une occasion d’évacuer le déserteur et sa famille, elle avait hésité. Pandora avait laissé sa peur la contrôler, et elle contemple maintenant le sinistre résultat de son indécision.

L’épouse lève la tête, du sang coagulé sur le visage.

— Vous nous aviez promis que nous serions en sécurité. Quand il vous a averti que le Dominion arrivait, vous n’avez rien fait, l’accuse-t-elle d’une voix grave et tremblante.

Pandora ne perçoit aucune rage chez la femme ; elle ne ressent que le néant froid et écrasant qui survient lorsque vous avez perdu tout ce qui a de l’importance pour vous. Elle élève rapidement une barrière mentale pour bloquer le désespoir glacial de l’épouse.

— Vous ne valez pas mieux qu’eux, vous êtes une lâche, hurle soudain la femme, d’une voix stridente et démente.

Elle relève brusquement un bras, un pistolet à aiguilles serré dans une main tremblante.

Deux tirs. Deux rappels cuisants de l’échec et de ses conséquences. La première traverse la main droite de Pandora et lui arrache le pouce. Elle tombe à genoux, serrant les dents quand la deuxième aiguille lui érafle l’épaule.

L’épouse ajuste son tir, mais ne presse pas la détente. Elle se contente de sangloter. Alors que Pandora se relève difficilement, elle ne pense qu’à l’accueil de héros qu’elle aurait reçu à Umoja si le déserteur était encore en vie, si elle n’avait pas eu peur de prendre des risques.

Un cahot de la route fait sortir Pandora de sa rêverie. Elle se libère de ses souvenirs d’Anselm et se demande pourquoi, juste à cet instant, ils lui reviennent en mémoire. La peur contrôlait sa vie à cette époque, mais elle est différente maintenant. Elle ne connaît plus la peur.

Pandora déplace ses mains sur le volant de la voiture dont le moteur gronde à la périphérie d’Augustgrad. Le décor a changé, les hauteurs monolithiques de la cité laissant la place à un réseau d’usines qui produisent un peu de tout, des motoplanes à la nourriture en sachet.

Une sueur sale imprègne ses paumes, ses doigts et la peau synthétique recouvrant la chambre de NéoAcier placée sur sa main droite. L’arme soigneusement camouflée pour ressembler au pouce qu’elle a perdu sur Anselm.

 

Elle meurt de chaud dans l’uniforme noir ajusté d’officier de liaison du Dominion. Elle regrette de ne pas être chez elle, dans le Protectorat umojan, où le pragmatisme l’emporte sur le désir futile de garder une apparence soignée. Mais de toute façon, la profession de Pandora ne joue que sur les apparences. S’adapter à son environnement, masquer ce qu’elle est vraiment est devenu chez elle un art.

Un loup déguisé en agneau ; c’est le surnom que lui avait donné un jour son mentor et chef d’équipe, Sage. Mais Pandora l’avait corrigé. Elle n’est pas un loup. Elle se contente d’avancer parmi eux.

Pendant quatre mois, elle a pris une douzaine d’identités à Augustgrad. Deux jours auparavant, elle était une serveuse au visage jovial, s’occupant poliment de ses clients jusqu’à ce qu’un officier de liaison du Dominion, nommé Colton Miersma, meure soudain d’une crise cardiaque après une nuit de beuverie. Hier, elle était un coursier laborieux bravant les rues encombrées d’Augustgrad sur une motoplane, venant livrer un colis à l’appartement d’un autre officier de liaison nommé Rebecca Schafer.

Aujourd’hui, Pandora est Rebecca Schafer. Elle a tellement l’habitude de prendre des identités différentes qu’elle remarque à peine le masque malléable qui dissimule son visage. La pièce cruciale de technologie umojane qui canalise son énergie psionique et lui permet d’apparaître pour ce qu’elle n’est pas. L’étoffe Psi.

Le masque a pris la forme générale et la semblance du visage de Schafer, suffisamment pour tromper de loin les holocaméras et les humains. Mais Pandora effectue aussi des manipulations mentales incessantes sur toutes les personnes proches, pour renforcer l’illusion.

L’unique passager installé sur la banquette arrière tousse, puis essuie de sa main épaisse la salive qui coule sur son menton. Le commandant Bartlett. Un homme obèse vêtu d’un uniforme gris charbon à passepoil rouge. Même si l’officier supérieur ne lui a pas adressé un mot durant tout le trajet, elle le surprend de temps en temps en train de l’observer, l’esprit empli de pensées lubriques qu’elle bloque rapidement.

La voiture dépasse les usines et rejoint une poche de désert non terraformé qui subsiste à côté d’Augustgrad. Pandora risque un regard dans le rétroviseur et repère une camionnette de livraison brun clair qui la suit depuis le début de son voyage. Alors que son véhicule monte une colline raide, la camionnette s’écarte de la route. Son chauffeur, le chef d’équipe de Pandora, est allé aussi loin qu’il le pouvait.

De l’autre côté de la colline, la destination de Pandora apparaît enfin : la fabrique de munitions Simonson. Elle connaît très bien cet endroit, même si elle ne s’y est jamais rendue. Elle a étudié de vieux plans de l’usine, avant que l’année dernière celle-ci soit encore plus sécurisée que la prison de Néo-Folsom. Elle sait qu’il y a eu de grosses livraisons de NéoAcier, de la qualité utilisée pour les cuirassés. Que de puissants chocs sismiques et des décharges électromagnétiques proviennent de l’intérieur des locaux. Il s’agit probablement d’une nouvelle arme du Dominion qui sera utilisée pour frapper et soumettre les colonies rétives, tout en étant présentée comme un moyen de protéger l’humanité des menaces extraterrestres qui rôdent dans le secteur de Koprulu.

Mais ses informations s’arrêtent là.

Le premier mur de plastociment entourant le complexe Simonson approche. Des marines armés portant une armure CMC bleue font signe à la voiture de franchir l’entrée quand Bartlett exhibe ses papiers d’identité. Les marines de la seconde enceinte intérieure font de même.

Comme Pandora l’avait espéré, les gardes ne jettent qu’un coup d’œil rapide au chauffeur insignifiant du commandant. Mais tout au fond de ses pensées, elle imagine une douzaine de façons différentes pour les gardes de la confondre. L’étoffe Psi. Les cartouches de micro-aiguilles enduites de poison dissimulées dans tout son uniforme. La console fixée à sa ceinture, abritant une poignée de nano-espions. Elle trouve une parade pour chaque désastre potentiel, une façon de tuer les gardes et le commandant obèse, puis de quitter Augustgrad sur un transport interplanétaire avant que le Dominion n’apprenne quoi que ce soit.

Pandora arrête la voiture dans le hangar principal du complexe Simonson, et se gare entre deux rangées de Vautours. Bartlett sort du véhicule et échange quelques salutations avec un groupe de responsables qui l’attend, soudain jovial et bruyant en compagnie de ses pairs.

 

Avant que les officiels ne puissent conduire Bartlett dans les entrailles de l’usine, Pandora retire la console-télécommande de sa ceinture et sort de la voiture. Elle feint de prendre une note sur l’écran et dirige la pointe d’un stylet vers le dos de Bartlett.

Elle ne voit pas le laser infrarouge qui sort du stylet, et fixe un point entre les omoplates de Bartlett. Elle ne voit pas les nano-espions autopropulsés surgir de la console et voler vers leur destination, guidés par le laser. Elle s’est suffisamment entraînée à ce geste pour savoir que tout fonctionne bien.

Une lumière verte s’allume sur la console, signalant que les nano-espions ont rejoint leur cible. Les drones discrets resteront là, suivant de près le commandant et établissant une cartographie holovid 3D de tout ce qu’il verra.

Alors que les officiels conduisent le commandant dans un bâtiment adjacent au hangar, un garde s’approche de Pandora et tend un bras cuirassé vers une porte voisine, portant en grosses lettres blanches l’inscription « ZONE DE DÉTENTE ».

— Va te reposer un moment. On te rappellera quand le galonné aura fini son petit tour.

Pandora hoche la tête et avance vers la zone de détente tandis que la porte massive anti-souffle du hangar se ferme, bloquant l’intense lumière du soleil. Elle n’est pas qu’un membre des gardes de l’ombre umojans, un agent secret ennemi travaillant dans la capitale du Dominion ; elle est un agent ennemi à l’intérieur de l’un des centres de recherches expérimentales en armement les plus secrets du Dominion dans le secteur de Koprulu.

Tu as encore l’occasion de partir. Il te suffit de remonter dans la voiture et de sortir, lui chuchote une voix dans sa tête. Ces mots lui rappellent son chef d’équipe, Sage. Il aurait voulu qu’elle parte et évite de prendre tous ces risques.

Pandora secoue la tête. Elle ne peut pas s’arrêter. Pas après les actes odieux qu’elle a commis pour pouvoir entrer dans cette base.

Plus maintenant.

#

Le message codé envoyé par Sage sur son fone avait été pour elle une surprise complète. Après en avoir déchiffré le sens, Pandora s’était précipitée jusqu’à l’appartement de son chef d’équipe. Sage était là, en train de faire ses bagages. L’homme qui avait appris à Pandora à être si forte et déterminée avait déjà laissé tomber.

— Nous avons récupéré tout ce que nous pouvions sur ces installations. On ne peut plus rien faire ici, avait dit Sage.

Il ne semblait pas gêné qu’après quatre mois de travail angoissant sous couverture, l’équipe s’en aille les mains vides.

— Nous y sommes presque arrivés. Il nous faut juste un peu plus de temps et...

— C’est trop risqué. Nous avons déjà un peu trop abusé de l’hospitalité de la capitale. Nous avons eu de la chance que tu n’aies pas été repérée par un fantôme ou un enquêteur.

En tant qu’unique télépathe de leur équipe, Pandora était très fière d’avoir travaillé à Augustgrad sans être détectée, juste sous le nez des fantômes psioniques du Dominion qui, bien que ce ne soit pas très probable, pouvaient se trouver en ville. Alors que les gardes de l’ombre défendaient la souveraineté du Protectorat umojan grâce à la ruse et l’obtention de renseignements, Pandora considérait les fantômes comme des armes sans âme utilisées pour imposer l’autorité oppressive du Dominion par la peur et l’assassinat.

— Je sais comment voler sous les radars, répondit Pandora d’un ton neutre.

 

— Ce n’est pas le problème. S’il nous arrive quelque chose, cela peut compromettre d’autres équipes qui sont présentes en ville, et bien plus encore. La vérité est que nous ne sommes pas plus avancés sur ce qui se passe à l’intérieur de ce centre que nous ne l’étions il y a quatre mois.

— Alors il faut aller un peu plus loin. Nous n’obtiendrons rien sans prendre un peu de risques.

— Notre boulot, ce n’est pas de prendre des risques de façon aveugle. C’est d’agir à partir de données précises. Des choses sûres.

— Nous avons déjà agi avec moins de renseignements que cela dans le passé, répondit Pandora, irritée.

Elle avait toujours admiré la résolution de Sage, mais à cet instant, il était exaspérant.

— On l’a fait sur Anselm, reprit Sage.

Pandora se raidit. Sage sembla regretter son commentaire pendant quelques secondes, mais il continua.

— C’était un risque inconsidéré, mais nous avons quand même pu progresser, reprit Sage, regardant fugitivement le pouce cybernétique de Pandora. Et nous en avons souffert.

Incapable de contrôler sa colère, Pandora lui tourna le dos pour partir. Elle savait au fond de son cœur que son équipe et elle avaient souffert sur Anselm parce qu’ils avaient hésité. Ils n’avaient pas pris de risques au moment où cela avait été d’une importance vitale.

Sage posa doucement la main sur son épaule.

— Es-tu prête à tout risquer, même ta propre vie, pour savoir ce qui se passe dans ce centre ?

— Si cela permet de sauver d’autres vies plus tard, oui.

— Et c’est pourquoi je dois te dire non.

#

Les heures passent. Pandora s’est déjà rendue trois fois dans les stations médicales, les quartiers du personnel et les salles vidéo de la zone de détente. Elle a mémorisé les entrées et les sorties, tout en évitant les grands groupes de techniciens qui lui auraient rendu plus difficile la tâche de préserver l’apparence de Rebecca Schafer grâce à l’étoffe Psi.

Encore quelques heures de plus, se dit-elle. Encore quelques heures de plus, et elle aura quitté cette prison de NéoAcier avec les nano-espions, et sera en route vers Umoja, en sachant qu’elle a réussi là où tant d’autres auraient échoué.

Pandora choisit une table dans un coin de la cantine pour passer le temps. Des ouvriers du centre, isolés, traînent dans le coin, certains débarrassant des plateaux-repas vides et d’autres assis simplement devant leur repas.

Sur un écran vidéo fixé sur le mur, les dépêches de l’UNN se succèdent : De nouveaux soulèvements réprimés sur Anselm. Pandora grince des dents. Elle ne peut décidément pas s’en libérer, malgré tous ses efforts. La débâcle d’Anselm lui semble tellement absurde, maintenant. Si à l’époque elle avait été ce qu’elle est aujourd’hui...

Soudain, une alarme de sécurité retentit. Les yeux de Pandora explorent la pièce à toute vitesse. Les autres personnes présentes à la cantine râlent et continuent à manger, mais ne bougent pas. Leur indifférence rend la situation encore plus troublante.

Une voix sèche lance dans un haut-parleur :

— Que tous les employés non essentiels se rendent à la cantine pour un contrôle de sécurité.

 

Des techniciens et une poignée de gardes entrent les uns après les autres dans la pièce. Dix. Vingt. Trente. Plus de personnes que Pandora n’en a jamais vu quand elle se promenait dans la zone de détente. Trop de paires d’yeux. Trop de risques que ses manipulations télépathiques faiblissent et que quelqu’un puisse voir à travers l’étoffe Psi.

Elle relève son col pour dissimuler son visage, et se fraye un chemin dans la masse de corps, pour rejoindre l’un des couloirs de la zone de détente. Tu peux toujours t’en aller. Fais un détour par le hangar. Remonte dans la voiture, lui dit la voix. Pandora ne l’écoute pas. Elle continue à remonter le couloir, se glisse dans les toilettes et s’enferme dans une cabine.

Il ne faut que quelques minutes à un garde pour venir.

— Contrôle de sécurité. Tout le monde dehors, grogne une voix féminine bourrue.

Le garde vérifie toutes les cabines jusqu’à ce qu’il arrive devant celle de Pandora et voit la lumière rouge « occupé » sur la porte. La femme frappe durement sur la cloison.

— C’est à vous que je parle ! Je vous donne trente secondes pour sortir avant de déverrouiller la porte et de vous tirer dehors par la peau des fesses, avec le pantalon sur les chevilles.

La peur monte dans l’esprit de Pandora. Elle ferme les yeux et respire profondément, se souvenant de toutes les techniques qu’elle a apprises durant son entraînement pour contrôler sa peur. Le garde n’est qu’un obstacle, se répète-t-elle dans sa tête.

Pandora récupère une cartouche de micro-aiguilles emplies de poison d’une fausse poche de son uniforme. Elle ouvre l’extrémité de son pouce droit, et charge les projectiles dans la chambre de NéoAcier.

— C’est fini !

Le garde manœuvre le verrou et fait glisser la porte. La femme porte un uniforme de sécurité pourvu de quelques pièces d’armure légères et une petite unité-comm fixée à son oreille. Un pistolet C-7 est rangé dans un étui, à sa ceinture.

Pandora lui renvoie son regard, levant la main droite vers le visage de l’autre femme. Avant que le garde ne puisse réagir, trois cents micro-aiguilles surgissent du pouce de Pandora et percent sa peau, libérant un mélange mortel de toxines.

La femme recule en titubant, et suffoque, un faible râle étant le dernier son qui s’échappe de ses lèvres avant que le poison ne paralyse ses muscles vocaux puis se répande dans ses organes vitaux.

Purgée de toute peur, Pandora enjambe le corps agité de convulsions, et récupère l’unité-comm et le pistolet.

Juste un obstacle.

#

Pandora avait passé le jour suivant l’annulation de la mission par Sage à créer de faux renseignements sur le complexe Simonson. Et pendant tout ce temps, une petite voix à l’intérieur de sa tête était née et avait commencé à la tarabuster. Jusqu’où es-tu prête à aller pour réussir ?

— Je croyais avoir été clair. On s’en va, avait dit Sage lorsque Pandora lui avait tendu une console contenant les dossiers falsifiés.

Les fausses données sous-estimaient le nombre d’agents de sécurité présents dans le complexe, l’inconnue que Sage craignait le plus.

— Tu m’as appris à ne jamais ignorer de bons tuyaux. J’ai pensé que si tu voyais ces renseignements, tu reconsidérerais la question.

Sage avait examiné les données, en fronçant les sourcils.

Jusqu’où es-tu prête à aller ?

 

Pandora avait franchi le Rubicon et enfreint la seule règle que les gardes de l’ombre respectaient plus que toute autre : ne jamais utiliser contre ses coéquipiers des pouvoirs permettant de tromper ses interlocuteurs. Pandora savait que ses camarades et elle disposaient d’un grand degré de liberté, à la différence des fantômes au cerveau grillé du Dominion. En retour, le Protectorat umojan demandait à ses gardes de l’ombre d’agir avec intégrité.

Mais c’était nécessaire. Pandora savait que lorsque la mission serait terminée, Sage la comprendrait.

— Regarde le montant du budget de la sécurité. Ils ne peuvent pas avoir plus d’une douzaine de gardes à l’intérieur.

Sage s’était gratté le menton et avait contemplé le dossier en silence. Pandora avait soudain pris conscience d’une légère modification dans son esprit. Une fêlure dans sa ferme résolution d’annuler la mission.

Jusqu’où es-tu prête à aller ?

— C’est bien... mais je ne sais pas si c’est suffisant.

Presque inconsciemment, Pandora s’était concentrée sur le faible murmure de confusion présent dans l’esprit de Sage. C’était l’ouverture qu’elle était entraînée à repérer quand elle se préparait à manipuler une cible.

Jusqu’où ?

Sage avait secoué la tête et souri légèrement.

— Quand tu as quelque chose dans la tête, tu ne l’as pas ailleurs, hein ?

— J’ai eu le meilleur des professeurs, rétorqua Pandora.

Mais ses pensées étaient ailleurs, complètement focalisées sur les hypothèses que Sage élaborait dans sa tête. Elle avait senti céder sa résolution, et avait renforcé son emprise sur son esprit.

#

Une lumière pâle traverse les fentes de la grille de ventilation qui se trouve devant Pandora. Avant de se retrouver devant ce cul-de-sac, elle a rampé dans toutes les conduites d’air sinueuses du complexe pendant quinze minutes, en tapant régulièrement sur les commandes de sa console jusqu’à ce qu’elle soit à portée de ses micro-espions, pour pouvoir les rappeler.

Elle aurait dû risquer le contrôle de sécurité. C’est trop tard maintenant, pense Pandora. Elle se remémore les plans et les vidéos du centre pour trouver une autre issue, et se rappelle d’une porte massive située à l’arrière du complexe. Un conduit de rejet des matériaux toxiques.

Grâce à l’unité-comm du garde mort, elle écoute les conversations de la sécurité. Elle n’a encore rien entendu à propos du garde manquant. Il faudra du temps pour que le corps soit retrouvé dans la cabine de toilettes verrouillée. Suffisamment de temps pour qu’elle puisse s’enfuir.

Pandora retire la grille qui se trouve devant elle et se laisse tomber dans une pièce caverneuse, illuminée par une douzaine de plafonniers diffusant une lueur blafarde. Le sol est recouvert d’une mince couche de poussière. L’air est chargé de l’odeur soufrée des explosifs, une odeur qui lui rappelle le refuge d’Anselm. En remarquant sa taille gigantesque, elle devine que la pièce doit être le dôme central du complexe, ce qui signifie que la zone de stockage des déchets doit se trouver quelque part dans un bâtiment adjacent, de l’autre côté.

Alors que Pandora observe la pièce, elle distingue des formes qui ressemblent à des châssis de char de siège, de Vautours et de Tourmenteurs lance-flammes. Certains d’entre eux sont éventrés, déchiquetés et brûlés ; d’autres ne sont que partiellement endommagés.

Un haut-parleur se met à hurler :

— Projet Odin, test des systèmes de ciblage A-37. Début dans 3... 2... 1...

 

Pandora se retourne brusquement, tous les sens aux aguets. Les bruits de moteurs qui démarrent résonnent dans la pièce. Un Vautour tangue et contourne un char de siège, manquant de l’écraser. Alors que la motoplane la dépasse, elle remarque que celle-ci n’a pas de conducteur.

Le Vautour télécommandé se précipite vers l’autre côté de la pièce, sur sa gauche, et Pandora devine la silhouette de quelque chose qui se tient à distance. Une silhouette massive, méchanoïde, qui se tient sur deux jambes. Un monstre sur lequel Pandora peut maintenant mettre un nom : l’Odin.

Un minuscule cockpit est niché dans la partie supérieure du torse de la machine, et luit faiblement, comme un œil. Un bras s’étend de chaque côté du corps volumineux, chaque membre étant équipé d’un canon double. Même à cette distance, cette chose est incroyablement grande. Un Tourmenteur froissé qui repose près de l’Odin n’arrive pas au tiers de la hauteur de sa jambe de NéoAcier.

L’Odin dirige ses canons vers le Vautour qui approche de lui, et la pièce devient blanche. Le véhicule explose, et la motoplane se transforme en une pluie de shrapnels. Pandora se jette à couvert derrière un char de siège retourné. Tout autour d’elle, d’autres véhicules zigzaguent maintenant d’un côté de la pièce à l’autre.

L’Odin avance à pas lourds, faisant trembler le sol, et pivote vers Pandora. Dans la faible lumière, elle voit son mouvement lent et assuré. Quatre canons géants rangés dans le dos de l’Odin, et qui ressemblent à des armes prévues pour un cuirassé, s’élèvent puis redescendent sur les épaules du méchanoïde.

Pandora abandonne précipitamment le char de siège et repère un Vautour qui avance lentement. L’avant de la longue et mince motoplane est brûlé et cabossé, mais le reste a l’air intact. Elle bondit et manipule maladroitement les contrôles jusqu’à ce qu’elle trouve un petit récepteur fiché dans l’allumage, qu’elle suppose être la télécommande du véhicule. Pandora arrache le mécanisme et fait rugir le moteur du Vautour pour rejoindre l’autre côté de la pièce, au moment même où tirent les canons dorsaux massifs de l’Odin.

Un brasier surgit autour du char de siège derrière lequel Pandora s’était abritée. L’onde de choc du tir renverse un Tourmenteur proche, et projette Pandora vers l’avant. Elle frôle la paroi de la pièce et passe à gauche de l’Odin, devinant le contour indistinct d’une porte anti-souffle derrière la machine.

L’Odin suit Pandora avec ses canons de bras. Une explosion derrière elle soulève l’arrière du Vautour pendant quelques instants. Elle accélère, se glissant entre des chars de siège se déplaçant lentement et des Tourmenteurs, chaque obstacle étant successivement réduit en pièces par les salves de la machine de mort, dont les tirs deviennent de plus en plus précis.

Pandora se précipite vers l’Odin, tourne autour de ses pieds, puis se jette vers la porte anti-souffle. Il ne pourra pas se retourner à temps, se dit-elle. Il ne le pourra pas. Il...

Un Tourmenteur explose sur sa gauche, dans une gerbe de flammes blanches et orange. Des éclats de métal lui déchirent le visage. Elle sent qu’elle est projetée en arrière, et atterrit durement sur l’épaule. Quand elle retrouve la vue, l’Odin la surplombe, aussi haut qu’un immeuble, arrêté à moins d’un mètre d’elle. La douleur vrille toutes les fibres de son corps. Elle porte la main à sa joue et sent des lambeaux de chair humide et les restes déchirés de l’étoffe Psi pendre entre ses doigts.

Dans un dernier sursaut d’énergie, Pandora appelle à l’aide avec son esprit, espérant que quelqu’un se trouve à l’intérieur du minuscule cockpit de la machine. Les canons de bras de l’Odin ajustent leur visée, mais ne tirent pas. Pandora renforce encore ses impulsions psioniques.

La machine se penche soudain en avant. Ses jambes massives se plient, et son torse s’incline jusqu’à ce que le cockpit étincelant touche presque le sol. La verrière s’ouvre dans un nuage d’air pressurisé, et une femme en combinaison de pilote sans manches en sort, une trousse de secours à la main.

 

— Oh, merde. Mais... qu’est-ce que tu foutais ici ?

Pandora ouvre la bouche, mais la douleur l’empêche de prononcer la moindre parole.

— Tiens bon, je m’occupe de toi.

La femme sort une seringue pressurisée de la trousse et enfonce l’aiguille dans le cou de Pandora. La douleur aiguë commence à s’estomper.

Pandora s’attend à ce que la femme soit furieuse, qu’elle soit une extension de la machine de mort qu’elle dirige, mais ce n’est pas le cas. L’inquiétude et la culpabilité s’entremêlent dans l’esprit du pilote.

— Ça va aller, dit-elle en sortant un vaporisateur de la trousse et en le déplaçant au-dessus du visage de Pandora.

Un liquide âcre sort de la bouteille, et Pandora reconnaît l’odeur du plasticroûte. Après quelques secondes, elle sent une chaleur moite se répandre sur son visage lorsque le liquide durcit pour former une couche de plastique sur sa chair déchiquetée.

— Ce truc n’est pas fait pour les blessures profondes, mais il arrêtera l’hémorragie jusqu’à ce qu’une équipe médicale nous rejoigne, dit le pilote, en se retournant et en appuyant sur un bouton de commande de sa ceinture.

La porte massive en NéoAcier de la pièce s’entrouvre, et Pandora sort le C-7 caché à l’intérieur de son uniforme, visant la tête de l’autre femme. Elle hésite suffisamment longtemps pour que le pilote se détourne de la porte et la regarde. Suffisamment longtemps pour que les yeux de la femme s’écarquillent de terreur et que leur expression se grave dans la mémoire de Pandora.

Elle appuie rageusement sur la détente, furieuse contre elle-même d’avoir tant attendu. Le C-7 crache une pointe de 8 mm qui traverse la tête du pilote, projetant du sang et de la cervelle sur le pied de l’Odin.

Juste un obstacle, se dit Pandora alors que le corps de la femme s’effondre, l’expression de terreur figée sur son visage. Un obstacle comme Colton Miersma, Rebecca Schafer et le garde.

Ou comme Sage.

#

Cela avait commencé tout doucement, une fois que Pandora avait donné à Sage le dossier falsifié et avait manipulé son esprit pour chasser ses craintes à propos de la mission. Puis cela avait grandi jusqu’à ce qu’il accepte de laisser Pandora suivre son plan : neutraliser Colton Miersma, un officier de liaison devant se rendre au complexe Simonson. Puis éliminer Rebecca Schafer et prendre son identité, un autre officier de liaison qui, selon le protocole, devait remplacer Colton au cas où celui-ci ne pourrait pas remplir ses fonctions.

En surface, Sage semblait toujours normal. Mais quand Pandora regardait ses yeux, elle voyait une légère vacuité qu’elle reconnaissait grâce à son pouvoir psionique le plus puissant : manipuler les pensées et les décisions. Même si ses actes avaient provoqué une certaine confusion chez Sage, Pandora savait que les effets de son intervention s’estomperaient rapidement après la mission.

Néanmoins, Pandora évitait toujours de croiser son regard troublé alors qu’elle examinait une carte 3D flottant devant eux, décrivant le complexe Simonson et ses environs. Un point rouge brillant dans le réseau de bâtiments près du centre de recherches marquait l’endroit où les trois autres membres de l’équipe se positionneraient. Un autre point, derrière une colline abrupte proche des bâtiments Simonson, indiquait l’emplacement de Sage.

— Tu n’as pas besoin d’être aussi près, fit Pandora, en désignant le point de Sage.

 

— Je suis responsable de toi. Je veux être aussi près que possible au cas où il se passe quelque chose. En plus, d’après les rapports de sécurité que tu as récupérés, je ne pense pas que cela pose de problème.

Pandora avait déjà tenté de le dissuader de se tenir aussi près, mais une partie de Sage était encore forte et volontaire.

— S’il y a le moindre souci... n’importe quoi... tu sors de là. Je t’attendrai, ajouta Sage.

— Je le sais bien, répondit Pandora, les yeux toujours fixés sur la carte.

Elle se demandait si Sage soupçonnait que l’un des siens, la personne en qui il avait le plus confiance, l’avait trompé.

— Quand j’ai entendu ce qui s’était passé sur Anselm... Je ne savais pas si tu étais morte ou vivante. Tu ne sais pas comment je me suis senti quand ils me l’ont appris. Cela avait été ma décision de te laisser retourner au refuge. Si tu avais été tuée, je...

— J’ai survécu. Et je serai vivante la nuit de demain, quand nous serons sur un vaisseau qui nous emmènera loin d’ici, répondit Pandora, en posant la main sur l’épaule de Sage.

N’étant plus capable de détourner le regard, elle le regarda droit dans les yeux, et la culpabilité la submergea.

Tout cela est nécessaire, se convainquit Pandora.

#

L’arrière du Vautour de Pandora racle régulièrement le sol et envoie une pluie d’étincelles derrière elle. Elle atteint enfin la salle de stockage des déchets, remplie de caisses de NéoAcier couvertes d’étiquettes de produits dangereux, empilées à côté d’une porte anti-souffle massive menant hors du complexe.

En voyant le visage ensanglanté de Pandora et le pistolet C-7 dans son poing, le seul ouvrier présent en tenue de protection ne fait aucune difficulté pour lui ouvrir la porte.

Dehors, Pandora met les gaz et dirige la motoplane sur une trajectoire parallèle au complexe, vers les bâtiments bas des usines. Elle entend une sirène d’alarme retentir dans le complexe Simonson, sans doute déclenchée par l’ouvrier de la salle des déchets. Quelques instants plus tard, des groupes de gardes de sécurité et des Vautours commencent à surgir des portes principales du centre de recherches.

Alors que Pandora se rapproche des usines, elle aperçoit quelque chose du coin de l’œil, et arrête brusquement la motoplane. Le véhicule de Sage est garé derrière le talus, sur la route menant au complexe, en plein sur le chemin des gardes et des Vautours. Juste là où il avait dit qu’il l’attendrait.

Barre-toi ! Pandora agite les bras vers la camionnette, mais n’a aucune réponse. Fous le camp de là ! Elle dirige le Vautour vers le véhicule de Sage, puis s’arrête. Les gardes le rejoindront avant elle. Peut-être, se dit-elle, que si elle se rapproche suffisamment pour attirer son attention ? Peut-être...

La console pèse lourd à sa ceinture. Elle semble l’éloigner de Sage, et la conduire vers les usines. Il voudrait que je m’en sorte, se convainc Pandora. Il voudrait que je protège les données.

Alors que les agents de sécurité de Simonson montent la colline qui se trouve à l’opposé de la position de Sage, Pandora se force à faire demi-tour et à accélérer vers la zone des usines. Il s’en sortira. Elle répète sans cesse ces mots dans sa tête, même après que le premier tir venant de la direction de la colline a retenti.

Pandora abandonne le Vautour dans une ruelle entre deux usines et trébuche, traversant difficilement la zone à pied, s’appuyant contre les murs. La douleur insupportable est revenue, mais elle lui fait bon accueil. Cela l’aide à noyer le sentiment de culpabilité qu’elle éprouve pour avoir abandonné Sage.

 

Elle continue à avancer jusqu’à ce que ses genoux cèdent sous elle. Sa vision se trouble. Des cris retentissent dans les ruelles. Le cliquetis d’armures CMC. Une camionnette s’arrête brusquement près d’elle. Trois silhouettes armées en surgissent, allant rapidement dans sa direction. Elles l’attrapent et la traînent dans le véhicule.

Dehors, elle entend des coups de feu. Pop. Pop. Pop. Cela ressemble à une vidéo passant au ralenti. Les sons ralentissent de plus en plus jusqu’à ce que le dernier pop s’étende à l’infini et qu’elle perde conscience.

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Il faut à Pandora quelques minutes pour que ses yeux s’habituent à la lumière blanche de la pièce. Des moniteurs sont fixés aux murs. Des bras robotiques équipés de lasers chirurgicaux la surplombent. Une infirmerie... ou une salle de torture. Ce n’est que lorsque Pandora voit un homme barbu au pied de son lit, vêtu de l’uniforme gris pratique du Conseil dirigeant umojan et qu’elle reconnaît comme Jacob Kang, qu’elle sait se trouver en sécurité.

— Ulli, dit-il en avançant vers elle.

Elle reconnaît difficilement son véritable nom. Il la ramène à la réalité, à une autre vie qui lui semble si étrange après avoir passé des mois sous couverture.

— Votre équipe vient juste de partir. C’est dommage qu’ils n’aient pas été là pour votre réveil.

Les détails des derniers mois restent confus. Augustgrad... Le complexe Simonson... L’Odin. Elle lève la main et touche son visage, s’attendant à trouver quelque chose de hideux. Il lui semble lisse, doux.

Kang sourit.

— Les médecins ont fait de la chirurgie réparatrice quand vous êtes revenue. Si vous n’aviez pas mis du plasticroûte, cela aurait été beaucoup plus difficile à soigner.

Cette révélation ne lui apporte aucun soulagement, mais un sentiment d’ironie cruelle envers le pilote de l’Odin qui l’a aidée. Alors que Pandora réfléchit plus intensément aux derniers mois écoulés, elle se souvient avoir trompé Sage avec des renseignements falsifiés. Il y a quelque chose d’autre, cependant, un trou noir troublant dans ses souvenirs.

— Les nano-espions... Ils ont été endommagés ? chuchote Pandora.

— Ils sont parfaits, répond le dirigeant, en posant un petit disque sur un plateau près de son lit.

Un holovid de l’un des tests de l’Odin enregistré par les nano-espions apparaît soudain, une image en boucle de la machine se tournant vers la gauche et la droite tandis que ses canons de bras tirent sur des cibles hors champ.

— Le timing de votre équipe était impeccable. Nous avons reçu des informations précisant que l’Odin avait peut-être été expédié au centre Valhalla du Dominion, près de Sigmaris Prime, pour y subir ses derniers tests. Vous devriez voir les autres membres du Conseil dirigeant. Ils sont complètement terrifiés. Cependant, maintenant que nous savons ce que c’est, nous pouvons nous préparer si le Dominion décide un jour de l’utiliser contre nous.

Kang retire une petite boîte noire de son uniforme et la place sur le lit de Pandora.

— Le Conseil dirigeant a préparé une cérémonie officielle, mais je l’ai persuadé de vous laisser la donner dès maintenant. Vous l’avez bien méritée.

Elle ouvre la boîte et trouve à l’intérieur la médaille de l’Ordre du Gardien, une représentation d’Umoja gravée à l’or fin sur un écusson noir tout simple.

— Cette récompense est rare, même chez nos meilleurs agents. C’est un grand honneur, Ulli, un honneur que vous avez parfaitement mérité. Vous êtes une héroïne.

 

Pandora regarde la médaille accordée aux gardes de l’ombre qui ont fait preuve d’une grande bravoure et consenti d’immenses sacrifices pour assurer la sécurité et l’avenir de la société umojane. Elle a surmonté tous les obstacles. Les décisions difficiles qu’elle a dû prendre à Augustgrad en valaient la peine.

Elle devrait se réjouir, mais quelque chose dont elle ne se souvient pas continue de la préoccuper. Elle repense à la façon dont elle a quitté le complexe, en se dirigeant vers le désert sur un Vautour, le corps torturé par la douleur.

— Nous avons eu des blessés lorsque nous nous sommes enfuis ?

Un temps de pause très officiel. Elle sent dans l’esprit de l’homme qu’il tente de lui cacher quelque chose. Des pertes.

— Le Dominion s’est mobilisé après ce qui est arrivé au complexe, et a passé Augustgrad au peigne fin pour trouver le moindre signe de nos agents. Sept d’entre eux n’ont pas donné de signe de vie depuis ce coup de filet.

Un frisson remonte le long du dos de Pandora. Elle se souvient de la camionnette de Sage, rangée derrière une colline, près du complexe. Des gardes et des Vautours s’en rapprochaient. Des coups de feu. Pandora qui s’éloignait, l’abandonnant.

— Nous avons envoyé de fausses transmissions pour lier les agents capturés et l’incident Simonson au Front de Libération de Kropulu, précise le dirigeant. Je pense que nous...

— Où est Sage ? demande Pandora, toujours en chuchotant.

Le visage de Kang pâlit. Il ouvre la bouche, balbutie, cherchant ses mots. Pandora sonde prudemment son esprit, effrayée de ce qu’elle pourrait y trouver.

— Laissez-moi faire venir votre équipe. Il vaut mieux que ce soit eux qui...

— Dites-moi ! crie-t-elle d’une voix autoritaire.

La force de sa question la surprend, et surprend encore plus le membre du Conseil.

— Quand vous avez été exfiltrée, les agents de sécurité du Dominion vous poursuivaient. Votre équipe a réussi à vous récupérer, ainsi que les données, mais Sage... (L’officiel avale sa salive.) Il a disparu. Nous avons mené une enquête pour le retrouver, après la mission, et nous croyons qu’il a été tué près du complexe.

En dépit des paroles diplomatiques de Kang, Pandora voit la vérité nue dans l’esprit de l’homme. Un bref éclair d’une holo-image : le cadavre de Sage criblé d’aiguilles. Ses yeux morts la regardent avec une expression qui rappelle à Pandora la vacuité qu’elle avait remarquée chez lui la dernière fois où elle l’avait vu en vie.

— Il était l’un de nos meilleurs chefs d’équipe. Quand il a pris sa décision, il a endossé ses responsabilités pour assurer à tout prix la sécurité de ses camarades. Il aurait été... il était... très fier de ce que vous avez accompli.

Pandora ne dit rien, ne pense à rien. Elle est hébétée.

— Nous sommes tous bouleversés par ce qui s’est passé. Mais en dépit de ce prix, ce que vous avez trouvé en valait la peine, ajouta Kang en se dirigeant vers la porte. Je vais aller chercher votre équipe et leur apprendre que vous êtes réveillée. Ils voudront vous voir.

Il sort quand Pandora ne réagit pas à ses paroles.

L’Odin répète en boucle ses mouvements sur l’holovid posé à côté de son lit, ses canons tirant dans un cycle infini de destruction. Alors que Pandora regarde l’image semi-translucide sans la voir, elle caresse la médaille qu’elle tient dans la main, la représentation de tout ce pourquoi elle a travaillé si dur, et ne ressent qu’un grand vide glacial.

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